• Sophie Audouin-Mamikonian Princesse Tara (Le Monde)

    L'auteur de "Tara Duncan", l'héroïne adolescente portée à l'écran sous forme de série animée sur M6, revendique sa fantaisie.

    Romancière amoureuse des mots et de la fantaisie
    24 août 1961:
    Naissance à Saint Jean-de-Luz.
    1987: Naissance de sa première fille. Elle commence à écrire les aventures de Tara Duncan.
    1990: Naissance de sa seconde fille.
    Mai 2003: Publication du premier tome de Tara Duncan "Les Sortceliers".

    Souvent, la langue de ses interlocuteurs fourche. Voilà qu'ils l'appellent Tara au lieu de Sophie. Elle en est ravie. Longue chevelure blonde, yeux maquillés, pantalon et T-shirt blancs qui soulignent sa silouhette juvénile, à bientôt 50 ans, Sophie Audouin-Mamikonian apprécie d'être confondue avec son personnage de Tara Duncan, une adolescente aux pouvoirs surnaturels. L'héroïne, blonde elle aussi, débarque sur l'antenne de M6, sous forme d'une série animée fébrile produite par Moonscoop, le 26 septembre. Le même jour doit paraitre le huitième tome de ses tribulations. Les septs premiers - 500 pages chacuns, des pavés à l'aube de la littérature de jeunesse - ont fait un carton: 600 000 exemplaires, rien qu'en France. Ils sont traduits et vendus dans onze pays.

    Quand Sophie Audouin-Mamikonian a envoyé son manuscrit pour la première fois, en 1987, les éditeurs l'ont tous refusé. Au pays de Descartes, ses histoires de sortilèges et de dragons ne marcheraient jamais voyons! Elle a persévéré, a expédié régulièrement son travail pendant dix-sept ans. Entre-temps, une certaine J.K.Rowling a fait parler de son Harry Potter.

    L'auteure de Tara Duncan est aujourd'hui une vedette dans les collèges, voire les lycées. Quand la Corée met la France à l'honneur à l'occasion de son Salon international du livre, qui est invité à Séoul? Sophie Audouin-Mamikonian, aux côtés d'autres abonnés des best-sellers: Marc Lévy et Bernard Werber.

    L'auteure a déjà rédigé la trame de douze épisodes de Tara Duncan, de quoi nourrir les fans jusqu'en 2015. Il est en outre prévu de retrouver la jeune "Sortcelière" sur scène, dans une "comédie magicale", pleine de chansons et d'effets spéciaux, puis, peut être, dans un film de cinéma et en manga. Impossible de lui échapper, autant faire connaissance avec sa génitrice.

    Côté pile, son goût pour l'univers adolescent l'incite à abuser des superlatifs - "trop fantastiques", "juste géniaux" - et à truffer ses échanges sur Internet avec ses lecteurs de "lol" et autres inévitables du moment. Côté face, une mère de famille attentive et chaleureuse, qui nous reçoit sans fard chez elle, à Paris. Une autre de ses facettes tient à ses origines, que les dossiers de presse ne se privent pas de mettre en avant. Celui de M6 précise qu'elle est "princesse héritière du trône d'Arménie, nièce de Francis Veber, arrière-petite-nièce de Tristan Bernard". Elle glisse qu'elle se parrerait volontiers de ses titres. La publicité, elle connait: c'est là qu'elle a commencé à travailler. "Je ne comprends pas ce milieu. Moi, j'ai besoin de fraicheur."

    Quand on est, comme elle, descendante d'une lignée de lettrés, on risque d'avoir à choisir son genre littéraire. Son grand père déclamait des alexandrins classiques, sa grand-mère, qui s'est largement chargée de l'élever, écrivait en douce sous un pseudonyme. Cette dernière avait choisi deux prénoms sans ambiguité pour ses enfants: Francis (Veber, cinéaste) ("mon oncle ne m'a aidée en rien, il n'a même pas lu mes livres", soupire t-elle) et France ("ma mère a travaillé comme journaliste, notamment pour Jacques Martin"). Quand à l'Arménie, le pays n'est plus un royaume depuis belle lurette. "Je ne suis pas une héritière, je suis un écrivain" assure Sophie Audouin-Mamikonian.

    La bibliothèque où elle écrit assidûment se love dans une belle pièce ronde et lumineuse. L'endroit dit tout de son univers: fantastique et science-fiction du sol au plafond, une des collections les plus complètes dans ces genres-là, s'enorgueillit-elle en ouvrant la porte de son intérieur cossu du XVIème arrondissement. Sans fausse pudeur: "Mon attaché de presse n'aime pas ça, mais je n'ai rien à cacher: mon appartement, je l'ai gagné avec mes livres. Le premier m'a rapporté 3100 euros, le deuxième 15000."

    L'auteure de Tara Duncan aime la fantaisie. Elle dit d'elle-même qu'elle est restée bloquée à l'état d'une éternelle Sophie de 14 ans, qui aurait cependant "la tête sur les épaules", et confie qu'elle ne pourrait pas écrire ses Mémoires. "Je ne suis pas une intellectuelle, j'aime les mots." Elle en raffole même. "J'adore des termes comme "alchimie", inventer desnéologismes, jouer avec!" Ses romans sont foisonnants, l'écriture directe, le vocabulaire précis. Elle y tient. "Quand je me rends dans des lycées difficiles, j'entends que ces jeunes veulent pevenir policier, dealer, maçon... je constate qu'ils n'ont pas eu accès aux mots."

    Ses fans se nomment fièrement les "Taraddicts". Au courrier nourri qu'ils lui font parvenir sur son blog, elle répond immanquablement dans un style joyeusement adolescent, un brin caricatural certes, mais avec une bienveillance surprenante. "Je partage toutes leurs histoires, de copains, de parents, d'épreuves du BAC. A nous tous, je crois que nous avons déjà désamorcé plusieurs idées de suicide." Il arrive aussi qu'un libraire lui écrive, agacé par son succès insolent. Sophie Audouin-Mamikonian tâche de ne pas se laisser atteindre par la cruauté de la critique. D'ailleurs, si vous n'entrez pas dans son monde de magie, c'est sans doute que vous êtes un peu trop "Nonso" (non-sorcier) sur les bords.

    Article de Martine Valo pour le journal "Le Monde"

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